Il y a au cours d’une vie, certains bouleversements qui, s’ils semblent temporairement et personnellement indépassables, vous ramènent à une histoire commune, vous connectent à certains récits littéraires, vous propulsent dans certains grands récits mythologiques et vous arrachent à un présent chaotique. Ces trajets entre histoire personnelle et collective, ces "transformations du sentiment en objets culturels" décrits par l'anthropologue Ernesto De Martino à l’abord de certains rituels funéraires, sont au coeur de ce qui pourrait être décrit comme le processus de deuil.
Ce processus occupe une place majeure dans le travail de Benjamin Husson. Premièrement à travers ses recherches, ses enregistrements de pleureuses traditionnelles et son attachement au concept de « survivance » (développé par A. Warburg) que nous pourrions traduire ici comme la persistance de rituels de lamentations antiques au XXIème siècle. Il aborde de manière plus détournée la question de l’abandon nécéssaire et programmé de certains des fondements des sociétés occidentales, de certaines pratiques mortifères héritées de la modernité. Cette dernière a progressivement dé-socialisée le rapport à la mort et au deuil en les confiant progressivement à des institutions médicales et palliatives spécialisées et individualisées. La série des oeuvres « lamentables », exposée à grande échelle au Centre d’art contemporain Passages récemment, fut élaborée dans un mouvement de re-socialisation d’une mort désincarnée, proposant des moments collectifs balisés par l’exposition et l’oeuvre.
Du « deuil anticipé » au « deuil d’abstractions » théorisé par S.Freud se mélangent des références à certains bouleversements personnels vécus par Benjamin ces dernières années, faisant de ses oeuvres le point de rencontre entre des questions historiques, des perspectives sociétales contemporaines et des éléments biographiques.
Hannah Friedmann